… je parcours seul les salles immenses dans une lumière blafarde mais complice, où les personnages du passé se parlent, me regardent ou consacrent leur temps à boire, à s’amuser, dans des clairières ou des maisons à peine éclairées.
C’est là aussi que je m’arrête régulièrement devant deux tableaux qui me fascinent : Les jeunes et les vieilles de Goya. Je sais qu’il s’agit des mêmes personnes à quelques années de distance. Je suis dans l’incompréhension totale... Comment le temps peut-il enlaidir pareillement les femmes ? Pourquoi ces rides, ces bouches édentées et cette décrépitude, malgré les bijoux, le fard et les yeux charbonneux dans ces robes luxueuses pleines de pierreries ? Comment peut-on également exprimer en quelques traits autant de sentiments quand, dans les suenos, Goya décrit toutes les horreurs de la guerre et de ses cauchemars dans des dessins hallucinés ?
Un jour le conservateur alerté arrive et me demande pour- quoi je viens tous les jeudis et reste si longtemps devant les tableaux. C’est ainsi que ma mère apprend par téléphone que je préfère l’art à la religion... Déjà ?
Francisco Goya, Les jeunes Les vieilles (détail)