Le jour de l’enterrement
Le 6 avril 1946. Il fait très beau et chaud à Guise, où ma grand-mère Eugénie Husson réside seule, dans une petite maison d’ouvrier en briques près de l’écluse de l’Oise. J’ai 6 ans. Charles Husson est décédé à 38 ans. Je me souviens des tentures noires qui entourent les portes et couvrent les murs du salon où ma grand-mère ensuite entassera les meubles de sa gloire passée. Je ne vois plus mon père car le cercueil est fermé. Les gens qui viennent le saluer attendent dans le couloir. Ils parlent à voix basse.
Puis un éclair. Tout le monde mange autour d’une grande table et je m’ennuie. Il fait chaud et je demande la permission de me lever de table. Je pars seul vers la rivière au bout de l’esplanade et je mets les pieds dans l’eau. Je regarde les ablettes brillantes qui glissent près de la surface ridée en éclairs vifs. Plus j’avance le visage vers elles plus le spectacle est fascinant. Je me répète, car je dois être triste, « mon père est mort, mon père est mort » ... alors que je m‘amuse, et ce n’est pas bien ! Brusquement je tombe dans l’eau. Je ne sais pas nager mais la rivière est peu profonde et je peux marcher jusqu’au bord. Je reviens trempé au milieu de la salle où les gens continuent à parler. Je ne sais plus si je suis disputé ou si quelqu’un a dit « Un mort ça suffit ! », mais je sais que la disparition de mon père est liée pour moi à l’eau et aux poissons. C’est plus tard et encore aujourd’hui qu’il me manque. Je pense souvent à cet homme que j’ai si peu connu. Peut-être est-ce une des raisons de mon attachement total et permanent à mes quatre filles. Je ne veux jamais être absent pour elles.
Il parait que les orphelins se croient toujours responsables de la mort de leur père ? Probablement qu’ils ne comprennent pas pourquoi ce père a quitté le monde sans qu’il y ait de raison compréhensible. C’est donc de leur faute ! Et un jour, alors que je peignais la série des mandalas bleus, est venu s’imposer…