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Prise de la bastille

Lettre de Camille Desmoulins à son père Paris, 16 juillet 1789.

Mon très cher père,

Maintenant, on peut vous écrire, la lettre arrivera. Moi-même, j’ai posé hier une sentinelle dans un bureau de la poste, et il n’y a plus de cabinet secret où l’on décachette les lettres. Que la face des choses est changée depuis trois jours ! Dimanche, tout Paris était consterné du renvoi de M. Necker ; j’avais beau échauffer les esprits, personne ne prenait les armes. Je vais sur les trois heures au Palais-Royal ; je gémissais, au milieu d’un groupe, sur notre lâcheté à tous, lorsque trois jeunes gens passent se tenant par la main et criant aux armes. Je me joins à eux ; on voit mon zèle, on m’entoure, on me presse de monter sur une table : dans la minute j’ai autour de moi six mille personnes. « Citoyens, dis-je alors, vous savez que la nation avait demandé que Necker lui fût conservé, qu’on lui élevât un monument : et on l’a chassé ! Peut-on vous braver plus insolemment ? Après ce coup, ils vont tout oser, et pour cette nuit, ils méditent, ils disposent peut-être une Saint-Barthélemy pour les patriotes. » J’étouffais d’une multitude d’idées qui m’assiégeaient ; je parlais sans ordre. « Aux armes ! Ai-je dit, aux armes ! Prenons tous des cocardes vertes, couleur de l’espérance. » Je me rappelle que je finissais par ces mots : « L’infâme police est ici. Eh bien ! qu’elle me regarde, qu’elle m’observe bien ; oui ! C’est moi, qui appelle mes frères à la liberté. » Et levant un pistolet : « Du moins ils ne me prendront pas en vie, et je saurai mourir glorieuse- ment ; il ne peut plus m’arriver qu’un malheur, c’est celui de voir la…