… crut que les troupes campées autour de Paris pourraient bien y entrer, et personne ne se coucha. Cette nuit, toutes les rues étaient éclairées ; on jeta dans les rues des chaises, des tables, des tonneaux, des morceaux de grès, des voitures pour les barricader et casser les jambes des chevaux. Il y eut cette nuit soixante-dix mille hommes sous les armes. Les gardes-françaises faisaient patrouille avec nous. Je montai la garde toute la nuit. Je rencontrai un détachement de hussards, sur les onze heures de soir, qui entrait par la porte St. Jacques. Le gendarme qui nous commande, cria : Qui vive ! L’officier hussard cria : France, la nation française ; nous venons nous rendre, vous offrir nos secours. Comme on s’en défiait un peu, on leur dit de se désarmer d’abord, et sur leur refus, on les remercia de leurs services, et il n’en serait pas échappé un seul, s’ils ne se fussent égosillés à crier : Vive les Parisiens et le tiers-état ! On les ramena jusqu’aux barrières, où nous leur souhaitâmes le bon soir. Nous les avions promenés quelque temps dans Paris, où ils durent admirer le bon ordre et le patriotisme. Les femmes faisaient bouillir de l’eau pour jeter sur la tête ; ils voyaient les pavés rougis sur les fenêtres, prêts à les écraser et autour d’eux les milices innombrables de Paris, armées de sabres, d’épées, de pistolets et plus de soixante mille baïonnettes, plus de cent cinquante pièces de canon braquées à l’entrée des rues. Je crois que c’est leur rapport qui glaça d’effroi le camp. Nous avions les poudres de la Bastille, de l’arsenal, cinquante mille cartouches trouvées aux Invalides. Mon avis était d’aller à Versailles. La guerre était finie, toute la famille était enlevée, tous les aristocrates pris d’un coup de filet. J’étais certain que la prise inconcevable de la Bastille dans un assaut d’un quart-d’heure, avait consterné le château de Versailles et le camp, et qu’ils n’auraient pas eu le temps de se reconnaître........ Je marchais l’épée nue à côté de Target, avec qui je causais. Il était d’une joie inexprimable. Elle brillait dans tous les yeux et je n’ai rien vu de pareil. Il est impossible que le triomphe de Paul-Émile ait été plus beau. J’avais pourtant eu plus de joie encore la veille, quand je montai sur la brèche de la Bastille rendue, et qu’on y arbora le pavillon des Gardes et des milices…