… ni pour voir de loin. Elle portait pourtant ce genre d’ustensile mais c’était pour relever ses paupières. Le bon docteur avait abandonné ses recommandations pour qu’elle se ménageât mais elle riait sous cape et continuait à se lever hiver comme été, le lundi à cinq heures pour faire sa lessive à la main dehors, dans une vaste bassine d’eau bouillante... Charles Denoeux faisait partie de la gentry de Guise et savait tout sur tous, les secrets de famille étaient son lot quotidien, mais il ne disait rien. Parfois seulement à l’énoncé d’un nom ou d’un prénom, un sourire discret venait éclairer son visage. Il était très respecté par tous et son statut de médecin de famille était indiscutable. Un beau matin, de retour d’une nuit particulièrement difficile, il se plut à raconter qu’il avait mis au monde une petite fille, mais aussi sa mère et sa grand-mère !
Tonton Paul et Tante Suzanne
Quand elle rencontrait ses connaissances, ma grand-mère se voyait encore au temps de sa splendeur et traitait d’égal à égal avec ces bourgeois, élite de la société guisarde. Elle les invitait parfois à des déjeuners longs et plantureux où réguliè- rement, arrivant aux desserts, elle survenait avec un poisson ou une salade en riant et en avouant les avoir oubliés tant étaient nombreux les délices qu’elle concoctait avec science et amour.
Pour voir refluer les souvenirs nous posions des questions à notre oncle Paul quand il venait à Guise percevoir ses loyers et embrasser sa mère. Mais si nous voulions connaître le des- sous des cartes, il fallait plutôt interroger sa femme Suzanne qui avait une langue acérée et une mémoire très orientée vers la critique acerbe.