Tante Suzanne avait ses raisons car elle n’avait jamais été acceptée par sa belle-mère. A la traditionnelle guerre de tranchées entre belle-mère et bru s’ajoutait la lutte des classes : « Paul avait épousé la bonne ! »
Cette situation aurait pu être le thème d’un vaudeville ou d’une nouvelle de Balzac, c’est selon l’angle de vue. Vaudeville : parce que Paul s’était amouraché de la servante qui avait des formes accortes et un regard intrépide. Cette jeune paysanne de Lesquielles-Saint-Germain, fille de garde champêtre et de la fameuse Madame Hautecoeur voyait dans ce fils de famille, pas très beau mais gentil, un parti lui permettant de quitter sa campagne et un modeste logis où les poules couraient partout sans vergogne. Drame balzacien car elle était toujours la bonne dans l’esprit de ma grand-mère qui continuait encore, quarante ans plus tard, à lui donner des ordres. La fortune Husson, dite « la seconde de l’Aisne », avait contribué à l’ascension sociale d’un jeune travailleur acharné en une seule génération. Mon grand-père Alexandre Victor, se permettait de dire « J’ai assez travaillé pour que mes enfants ne fassent rien ! » Il avait eu trois enfants de son mariage avec Eugénie Loncle, fille unique de fermiers de Tupigny : Antoinette l’ainée, nantie d’une pilosité surabondante, Paul le second qui avait eu, adolescent, la fièvre typhoïde et Charles, mon père, brillant élève doté d’un humour féroce. La fortune amassée permettait à cet entrepreneur ambitieux de briguer une alliance plus prestigieuse pour son fils ainé, qu’une simple servante. Né en 1868, fils d’un père meunier ayant fondé une famille de 15 enfants à Lusy près de Charleville Mézières, ce garçon volontaire avait fui, vers ses 16 ans, la maison et la misère. A force de courage et de travail obstiné il était devenu entrepreneur de travaux publics et avait créé une société importante qui construisait des voies de chemin de fer dans l’Aisne par le moyen de contrats fructueux. J’ai encore…