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C’est un triomphe ! Il est minuit. Nous avons tous chanté et bu ensemble et la fête se termine dans les rires et la joie. Nous avons réussi et tout le monde est content. La directrice, qui nous demande de revenir l’année prochaine, les petits vieux qui sont déchaînés et ne veulent pas aller se coucher, et les « artistes », étonnés et sensibles à cette atmosphère de gaieté et de bonheur. C’est là que je commets l’erreur absolue ! Comme il reste beaucoup de vin, toutes les tables veulent trinquer avec les jeunes et nous devons accepter les toasts, sous peine de les vexer. Or il y a une vingtaine de tables et à chaque table un verre de vin nous attend ! Certes je fais attention de ne pas trop charger mon verre mais ils contrôlent tout et vérifient si je fais vraiment « cul sec ! » A la dernière table la tête me tourne vraiment car je ne bois jamais d’alcool. Or je sais que je dois revenir à Lambersart en vélo. Il fait nuit noire. Il y a plusieurs kilomètres à parcourir dans les rues de Lille mais surtout quand je traverse le bois de Boulogne, je passe le long du canal et de la Deûle en longeant les voies du tramway ! Heureusement il y a ces rails qui vont me guider presque jusqu’à la maison ! Mais ce soir-là étrangement les rails fusionnent parfois et sans raison aucune...

Cela est-il possible ? C’est drôle ! Contrairement à la loi des parallèles apprise en cours de géométrie je vois inexplicable- ment les lumières métallisées et brillantes se rejoindre puis se séparer alors que mon vélo tangue dangereusement et que la route sur le côté droit prend, elle-même, des allures de bateau dans la tempête ! Tout bouge et ne veut pas se remettre en place ! Bien, si c’est ainsi, voyons jusqu’où cela ira ? En fait, cette expérience me fit comprendre parfaitement la peinture de Chaïm Soutine. J’ai vu et vécu ses tableaux lorsque j’avais ans ! Mais ce que j’ignorais alors, c’est que j’allais vivre des moments inoubliables au sein d’un tableau de Soulages, le grand maître du noir.