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…plaqués sur le crâne et son visage anguleux mais souriant. Rien ne laisse supposer que ce petit magasin deviendra un jour la plus grande librairie d’Europe sous le dynamisme initial de ce fameux Monsieur Callens ! Peu importe, ma grand-mère vient avec un papier que mon frère a écrit pour indiquer son choix. Quant à moi, intéressé par la préhistoire j’ai demandé un livre illustré sur cette période fascinante. Monsieur Callens écoute ma grand-mère avec intérêt, va chercher mon livre et demande en baissant la voix : « Ce second livre est pour vous Madame ? », « non, c’est pour mon petit-fils... », en montrant mon frère qui est apparemment absorbé par les livres exposés dans la librairie, l’air de rien ! C’est tout juste s’il ne sifflote pas ! Alors Monsieur Callens se rapprochant de l’oreille de ma grand-mère commence à lui parler à voix basse. Je vois Mémé rougir, puis blanchir, ses lèvres se pincer, sa main se crisper sur son parapluie et son chapeau à voilette osciller dangereusement alors que sa tête bouge de plus en plus frénétiquement. « Ah non ! Ce n’est pas possible ! Non ! Ah non ! » dit-elle en forçant la voix ! Je ne sais toujours pas quel livre avait demandé mon frère mais l’attitude de Monsieur Callens et de ma grand-mère laissait supposer qu’il avait souhaité recevoir un livre qu’il n’au- rait pas osé acheter lui-même !

Je suis presque certain que nous sommes repartis avec la Vie exemplaire et cloîtrée de Sainte Thérèse de Lisieux ou celle tout aussi édifiante du révérend père Brottier (le chouchou de ma grand- mère !), que mon frère s’est empressé de ne jamais lire. Ni moi non plus d’ailleurs... Depuis, nous n‘avons plus fait nos Pâques. Sic transit gloria.

Mais qui était Rémy Dumoutier ?

Né à la Comté, petit village du Pas de Calais, dans une grande ferme dont le pigeonnier en briques dominait depuis longtemps la cour et les bâtiments, il a eu une petite enfance…