Lesquielles-Saint-Germain
Nous montions la côte qui arrivait sur un premier plateau venté au milieu des champs de blé ou de betteraves infinis. Après quelques kilomètres de route bordée d’arbres, nous parvenions au faubourg de Lesquielles que nous traversions jusqu’au monument aux morts, un obélisque chargé sur les quatre faces de quantité de noms. La plupart étaient ceux des héros de la première guerre mondiale, mais il y avait aussi ceux de la seconde et tout fraîchement inscrits, ceux de la guerre d’Indochine.
Puis arrivant au bas de la côte abrupte nous prenions un chemin de traverse qui évitait le long lacet conduisant à l’église.
Le chemin des exploits
Ce chemin était celui des exploits. Le premier était de type sportif. Mon oncle Paul, le mari de ma tante Suzanne, athlète s’il en fut, parmi d’autres performances cyclistes, avait monté plusieurs fois cette côte à 35% en vélo sans dérailleur, en ne décollant pas les fesses de sa selle. Exploit que je fus bien incapable de rééditer malgré mes tentatives désespérées. A quarante ans il se faisait un plaisir de montrer qu’il en était encore capable. D’ailleurs à 52 ans il avait escaladé la montagne la plus redoutée des Alpes : les Drus par la face nord.
Le second exploit est d’ordre sociologique et historique. Madame Hautecoeur, la mère de ma tante Suzanne, habitait à mi-parcours de cette route une très modeste maison. Madame Hautecoeur était une femme de haute stature, aux cheveux blancs gras et en désordre, qui parlait fort et élevait des lapins et des poules picorant partout à l’intérieur, y compris dans la salle à vivre. Ma grand-mère ne l’appréciait pas outre mesure et nous évitions de parler à haute voix en passant devant chez cette personne autoritaire qui n’aurait pas manqué de nous…