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…offrir « un tiot coup » dans des verres à la propreté douteuse. Elle était veuve et son mari avait été le garde champêtre du village. En dehors de Suzanne ma tante, ils avaient eu un fils. Et c’est là que réside l’exploit sociologique...

Ce fils avait franchi le cap de la peine et de la misère en une seule génération. Brillant élève, il avait réussi tous ses concours et avait réalisé son rêve : devenir pilote de chasse. Hélas son avion s’est écrasé un jour d’entrainement de 1936. Son visage ressemblant à celui de Clostermann sous la casquette de pilote, est encadré sur sa tombe en forme d’avion dans le cimetière de Lesquielles.

Mais l’exploit historique est du fait de sa mère, qui vivait encore au moyen âge en 1954. Ce qu’elle appelait « les cabinets » était une baraque en planches au fond du jardin. Or, Madame Hautecoeur, toujours vêtue d’une grande robe grise allant jusqu’aux sabots et d’un grand tablier, n’allait pas jusqu’à cet endroit malodorant pour uriner. Elle se tenait debout et ce qui choquait particulièrement mon frère, une flaque s’étalait sous elle alors que sans vergogne elle continuait à parler. Or cette façon de procéder a été pendant des siècles une pratique courante chez les paysannes de France.

Tupigny et le retour

Quand nous quittions ce chemin du souvenir, nous parvenions en haut sur la route départementale peu fréquentée et nous marchions alors sur le grand plateau. Nous parcourions une bonne lieue de lumière vive et de vent ou de pluie battante pour finir par un petit chemin qui sentait la noisette et dévalait jusqu’au centre de Tupigny.