… haute voix les titres du journal dans le dos de mon grand-père assis dans la cuisine. Stupéfaction générale de l’assistance : « Cet enfant n’a jamais appris à lire et il lit le journal ! ».
La maîtresse n’eut plus jamais le droit de me revoir. Probablement est-ce ce qu’elle souhaitait : se libérer, ayant déjà beaucoup trop d’élèves à cause de la guerre... En tous cas, moi, j’étais libre et heureux.
Zoé
A l’époque Mons-en-Baroeul est assez éloigné de Lille et la maison se trouve au milieu des champs de maraîchers. Le souvenir de Zoé la maraîchère qui répand sur ses carottes et ses poireaux le produit pestilentiel de ses cabinets me poursuit encore. On se bouche le nez de dégoût mais elle continue à déverser avec une sereine obstination ses déjections en prétendant que cette fumure est très bonne pour les cultures. Allez comprendre pourquoi j’ai des souvenirs perturbés quand je dois manger des carottes ou de la salade !
1944 - La milice arrête Annette Barbut et sa nièce Nelly Obadia le 30 janvier 1944 à Tourtour dans le Var
Lorsque je regarde la photo de mon père au milieu de ses élèves dans le jardin des Brugaces, je me pose une question sur ces enfants juifs qui sourient à pleines dents: sont-ils encore vivants ? Ont-ils survécu à la traque de la milice et à un destin malheureux ? Je le souhaite vivement. Je ne les ai pas croisés lors de mon enquête sur les rescapés dans la région. Je n’ai rencontré qu’une seule personne qui ait été arrêtée dans le Var avec sa nièce de dix-huit mois, Nelly Obadia : Madame Annette Barbut. Car la milice française hélas, a traqué aussi les Juifs dans le Var et c’est le cas de cette jeune fille de dix-neuf ans alors…