Son antre sombre et étroit sent la colle à bois qu’il fait chauffer en permanence dans une vieille casserole. Ami de mon père, il me parle gentiment avec l’accent traînant des Grenoblois. Il m’explique son art en me montrant comment à partir d’une bille de bois, on peut créer une jambe adaptée à toutes les conformations. J’apprends en le regardant attentive- ment, la patience de l’artisan et le souci du détail car le mutilé souffre si sa prothèse n’est pas parfaitement ajustée. Marius m’apprend aussi la sollicitude et la douceur de celui qui écoute vraiment.
Viennent dans ce magasin beaucoup de mutilés de guerre et un jour l’un d’eux est un moine chartreux. Il n’a pas le droit de parler et c’est par des signes qu’il se fait comprendre. Comment se fait-il que j’assiste à la « conversation » ? Mais ces gestes de part et d’autre évoquent un rituel précis, silencieux, tout à fait ésotérique mais efficace, que je pourrai observer plus tard en loge maçonnique. J’apprends que lorsqu’on s’entend, la parole est inutile.
22 rue Édouard Delesalle à Lille. Nous habitons au dernier étage